Depuis le 5 mars, les urgentistes de l'hôpital parisien Georges Pompidou sont en grève illimitée. Ils dénoncent un manque de lits. Gérald Kierzek, médecin urgentiste et anesthésiste, rappelle que cet engorgement des urgences n’est que le symptôme d'un dysfonctionnement global du système de soins.
> Par Gérald Kierzek Médecin urgentiste
Pas un jour sans que les urgences ne fassent l’actualité : des Français inquiets pour leurs hôpitaux, notamment pour leurs urgences (sondage FHF), un président-candidat pour qui trop de personnes vont aux urgences et les personnes âgées restent trop à l’hôpital, François Hollande qui veut que tout Français soit à moins de 30 minutes d’un centre de soins d’urgence, grève illimitée des personnels des urgences du prestigieux hôpital européen Georges Pompidou...
Loin d’être un phénomène isolé, l’engorgement des urgences est récurrent ; la population recourt de plus en plus fréquemment aux services d’urgence hospitaliers, si bien que le nombre de passages dans ces services a doublé entre 1990 et 2004 et continue de progresser. Les services d’urgences sont devenus à la fois un observatoire de l’ensemble de notre système de santé et le symptôme de ses dysfonctionnements.
L’occasion de faire le point sur leur fonctionnement, les difficultés rencontrées, réelles ou médiatiques, et les pistes d’amélioration pour espérer sortir des clichés.
En cas d’urgence...
Les urgences des hôpitaux ne sont qu’un maillon de toute une chaîne, qui comprend :
En amont de l’hôpital
- Les médecins généralistes volontaires assurant la permanence des soins, dont l’organisation dépend des agences régionales de santé (ARS) ;
- La régulation médicale et le SAMU-Centre 15 ;
- les acteurs de l’aide médicale urgente : service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR), ambulanciers privés, sapeurs-pompiers, associations de secours, etc.
À l’hôpital
Les urgences hospitalières ont pour mission d’accueillir 24 heures sur 24 les patients s’y présentant. Chaque année, 16,7 millions de passages sont enregistrés aux urgences dans 637 structures en France, pour l’essentiel dans le secteur public (l’hôpital public assure les trois quarts des urgences), mais aussi dans des cliniques ou hôpitaux privés pour un quart des passages.
En aval des urgences
La prise en charge post-urgences est capitale. Même si 80% des patients rentrent à domicile, 20% nécessitent une hospitalisation. En cas de crise sanitaire, type grippe ou canicule, l’état de santé des patients nécessite des hospitalisations en grand nombre susceptibles de bloquer le système si l’aval n’est pas en mesure d’être assuré.
Au total, l’engagement gouvernemental pour les urgences a été considérable depuis des années (489 millions d'euros entre 2004 et 2008, venant s’ajouter aux créations d’emplois ayant eu lieu entre 1997 et 2001, deux décrets "structurants" en 2006 pour leur activité et une circulaire de 2007 qui complète le dispositif en vue d’une réglementation de l’exercice de la médecine d’urgence et de son intégration dans des réseaux de soins...).
Aujourd’hui, malgré la création d’une spécialité de médecine d’urgence et des moyens importants dévolus, force est de constater que ces services, leurs personnels et surtout les patients restent toujours en difficulté. Essentiellement parce que le problème ne vient pas des urgences !
Les urgences: un goulot d’étranglement du système de santé
Les urgences ont mauvaise réputation : on y attend, longtemps parfois et en cas de crise sanitaire et d’afflux de patients, elles forment un goulot d’étranglement que le système de santé ne peut résorber.
Initialement créées pour accueillir les urgences vitales, elles répondent aujourd’hui dans 95% des cas à une demande de soins non programmés et à des urgences sociales, psychiatriques, dentaires, gériatriques... Les urgences se sont donc adaptées à ces demandes de soins. Le circuit du patient y est bien codifié : accueil administratif, informatisation des dossiers médicaux dans plus de 80% des services, tri et organisation de l’ordre d’accès aux soins en fonction de la gravité par une infirmière d’accueil et d’orientation, présence de médecins seniors urgentistes... La création de postes médicaux et paramédicaux a permis de répondre aux urgences les plus graves et les moins graves.
Toute augmentation du flux d’entrée de patients (épidémie de grippe, accès aux soins difficiles en médecine de ville, crise sanitaire....) ou tout blocage à l’intérieur des urgences ou en aval (absence de lits) est susceptible de paralyser le système, véritable goulot d’étranglement.
Des solutions pour les urgences
Améliorer la fluidité des urgences et diminuer les temps de passage nécessitent de repenser globalement le système par une meilleure coordination avec la médecine ambulatoire, une adaptation des services d’urgence et une réorganisation hospitalière.
Coordination avec la médecine ambulatoire
La demande des patients est relativement simple : ils veulent pouvoir obtenir une réponse médicale devant une urgence, réelle ou ressentie, et il est plus que souhaitable de limiter l’autodiagnostic et donc l’auto-orientation du patient dans le dispositif de soin.
- Un numéro d’urgence médicale unique serait la solution la plus confortable pour les patients. Regroupés sur une même plateforme, SAMU, pompiers, médecins libéraux participant aux gardes pourraient orienter le patient: dans une maison médicale de garde (MMG), aux urgences de l’hôpital, envoyer un médecin à domicile ou un moyens de transport (pompiers, ambulance, SMUR…) ou même rassurer et donner un simple conseil médical.
- La création de maisons médicales de garde ouverte après les horaires des médecins libéraux est souvent présentée comme la solution idéale ; encore faut-il des médecins pour assurer les permanences et un minimum de plateau technique. Des maisons de santé sans rendez-vous, type walk-in clinics en Amérique du Nord, ouvertes la journée et après la fermeture des cabinets, sont également une solution séduisante. Attention cependant à l’idée de placer ces structures "en face" des services d’urgence pour tenter de diminuer les consultations aux urgences : elles videraient surtout les hôpitaux de leurs médecins attirés par un paiement à l’acte plus avantageux.
- Certains territoires désertés médicalement (départ à la retraite de médecins non remplacés) pourraient quant à eux recourir utilement à des infirmières cliniciennes spécialement formées et exerçant dans le cadre de délégations de tâches et de protocoles de soins. Il est illusoire de vouloir remplacer tout médecin de campagne ; le recrutement de médecins étrangers n’est pas non plus une solution viable et est très contre-productif en termes médico-économiques.
Adaptation des services d’urgence
Vouloir limiter totalement l’accès aux urgences et le réserver aux patients les plus graves est irréaliste.
Dès lors, les services d’urgences doivent s’adapter pour absorber les flux de patients venant pour de simples consultations. Des organisations type circuit-courts ou (fast-track) pour les patients les plus légers vus en priorité permettent de gagner du temps à l’ensemble de la file de patients. Des coordinateurs médicaux et paramédicaux au sein de ces services permettent de gérer la logistique des flux et des lits. Enfin, des travaux sur la pertinence de prescription des examens complémentaires (radiologiques, biologiques...) permettent de limiter les surprescriptions génératrices de surcoûts et de temps d’attente allongés.
Réorganisation hospitalière
Les urgences sont dépendantes des capacités d’hospitalisation d’aval pour accueillir les patients. Or l’hôpital n’est plus adapté, victime d’un double mouvement inverse : d’un côté, il s’est ultraspécialisé, découpé en services de pointe et d’organes fonctionnant sur des soins programmés ; de l’autre, les patients notamment des urgences sont de plus en plus âgés et polypathologiques, requérant des soins non programmés, ne correspondant plus aux critères voire aux compétences des services d’hospitalisation.
La création ou la reconversion de lits d’hospitalisation en lits de médecine générale ou d’aval d’urgence doit donc être une priorité. Cette nouvelle spécialité gérée par des internistes et/ou des généralistes (les Américains ont inventé une spécialité proche, baptisée hospitalists) permettrait d’hospitaliser les patients des urgences avec une durée d’hospitalisation la plus courte possible.
Les explorations non urgentes sont ensuite réalisées en ambulatoire en coordination avec les médecins traitants. Sur un plan universitaire, ces structures seraient d’excellents terrains de stages pour les futurs médecins généralistes, qui, une fois installés, formeraient un réseau naturel entre la ville et l’hôpital.
Il est urgent de sortir des clichés du type "les patients n’ont rien à faire aux urgences". Ils y viennent faute d’alternative. La réponse de l’État doit être de réorganiser le premier recours en soins non programmés et d’urgence. L’opposition médecine de ville-médecine hospitalière trop souvent entendue est stérile ; seule la complémentarité des professionnels de santé (médecins, pharmaciens, paramédicaux...), mieux coordonnés et mieux formés (délégations de tâches), permettra de répondre aux besoins sanitaires des Français.
Source : Le Nouvel Observateur