Suppressions de lits d’hôpitaux, fermeture de points d’accueil de la caisse primaire d’assurance maladie, réduction de l’offre de soins… En Seine-Saint-Denis comme dans le Nord-Pas-de-Calais, les politiques d’austérité ont un impact direct et concret sur les patients.
La lettre a été envoyée mi-mars par l’agence régionale de santé (ARS) du Nord-Pas-de-Calais à un hôpital présentant une « situation financière fortement dégradée ». Afin que l’établissement poursuive ses « efforts d’efficience », l’administration incite l’établissement à « retrouver progressivement un cycle d’exploitation équilibré en agissant sur la maitrise des charges et en particulier des charges de personnels ». L’injonction cachée derrière ce jargon administratif est claire : il faut réduire la masse salariale. « Ce n’est pas un, mais tous les hôpitaux de la région, qui sont confrontés à une cure d’austérité », s’inquiète Yannick Sobaniak, de l’union syndicale CGT Santé Action sociale du Nord, faisant allusion au plan d’économies de 3 milliards d’euros à réaliser sur les établissements de santé jusqu’en 2017, dont 860 millions sur les frais de personnel. La région Nord-Pas-de-Calais, elle, doit économiser 33 millions d’euros.
Mais cet objectif devrait être durci puisqu’il a été fixé avant le tour de vis sur l’Ondam (objectif national des dépenses d’Assurance maladie), qui doit tomber de 2 % cette année à 1,75 % en 2016 et 2017. « On s’oriente vers un plan de 70 millions d’euros d’économies sur la région. Le directeur de l’ARS n’a ni confirmé, ni infirmé l’information. Cela va se traduire par des fermetures de lits, d’activités, de services, avec pour conséquence plus de 1 500 suppressions d’emplois pour notre région. C’est le pronostic vital de certains hôpitaux de notre région qui est engagé », analyse Yannick Sobaniak.
"Des situations sanitaires et sociales catastrophiques"
Réduire le nombre de lits et le nombre d’emploi, aux yeux du gouvernement, ce sera possible grâce à ce qui est présenté comme le « virage ambulatoire ». Pourtant, à Lille, « le CHU (centre hospitalier universitaire) a constaté que le taux de retour aux urgences des patients qui ont été traités en ambulatoire avoisine les 40 à 50 %. Ils embolisent les services d’urgences et les spécialités derrière », dénonce le syndicaliste. Et il y a bien sûr la remise en cause des 35 heures. « A l’hôpital de Calais, ils ont perdu six jours de RTT en mai dernier. A l’hôpital de Denain, la direction a annoncé qu’elle allait revoir le protocole RTT. A l’hôpital de Béthune, c’est vingt postes qui sont menacés. A Wattrelos, on s’attend à ce que la direction tente à nouveau de fermer les urgences », énumère Yannick Sobaniak, également inquiet des conséquences de la mise en place programmée des groupements hospitaliers de territoire, rendus obligatoires par la loi Santé, sur les petits établissements. « Alors que la loi n’est pas votée, les ARS (agences régionales de santé) poussent à l’expérimentation pour que ces groupements soient effectifs au 1er janvier prochain. C’est le prélude à la fusion des hôpitaux publics entre eux mais aussi avec le privé et la suppression massive de postes dans le service public hospitalier. Or des études récentes ont montré que les “hôpitaux-usines” dotés de nombreux lits n’étaient pas ceux qui soignaient le mieux les patients », indique Mireille Stivala, secrétaire générale de la CGT Santé.
« On résonne en offre de soins alors qu’il faut réfléchir à partir des besoins de la population », estime Yannick Sobaniak, d’autant plus indigné que tous les indicateurs de santé sont dans le rouge. Comme le rappellent six élus communistes dans une lettre adressée le 19 mai dernier à Marisol Touraine, la ministre de la Santé, « l’espérance de vie y est de quatre années inférieure à celle de la moyenne nationale. La région a le triste record du plus grand nombre de décès par maladie veineuse, insuffisance cardiaque ou rénale, diabète… Le pourcentage d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) est le plus élevé avec 59,5 décès pour 100 000 habitants, contre 45,8 nationalement. (…) Nous ne pouvons accepter que “moderniser” le système de santé se traduise par la réduction drastique des moyens. Et que l’austérité préside systématiquement aux politiques de mises en œuvre », concluent-ils. Quant au renoncement aux soins dans le Nord, il explose, assure Yannick Sobaniak. « C’est pour ça, d’ailleurs, que le nombre de cancers explose. Quand les patients arrivent aux urgences, on découvre des situations sanitaire et sociale catastrophiques ! Pourtant, rappelle le syndicaliste, il n’y a jamais eu autant de médecins en France. Mais ici, dans le Nord, on est les parents pauvres. A Wattrelos, il reste une trentaine de médecins généralistes pour 40 000 habitants. Et quasiment plus aucun spécialiste. Sans compter que l’ARS veut nous fermer les urgences. Comment on va faire pour se soigner ? »
Cette discrimination, la ville de Saint-Denis et le département de Seine-Saint-Denis les vivent eux aussi de plein fouet. La désertification médicale n’est, ici, pas un vain mot. Il reste ainsi à Saint-Denis un seul gynécologue, trois pédiatres, cinq ophtalmologues… De l’aveu de Stéphane Degl’Innocenti, délégué Sud de l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis, l’inégalité d’accès aux soins est même « disproportionnée ». « Ici, tous les indicateurs sanitaire sont mauvais. La mortalité infantile est plus élevée que la moyenne régionale. Et sur le terrain, les moyens humains et financiers ne sont pas à la hauteur » L’hôpital Delafontaine en est l’exemple le plus frappant : alors que cet établissement accueille toujours plus de patients précaires - un-tiers sont bénéficiaires de l’Aide médicale d’Etat (réservée aux étrangers en situation irrégulière) ou de la Couverture maladie universelle (dispositif d’accès aux soins pour les personnes en situation de précarité) – il n’échappe pas aux chocs budgétaires. Le changement du mode de financement de l’AME, dont le coefficient de majoration prenant en compte la spécificité des patients précaires a été supprimé a coûté, selon les syndicats, 3,2 millions d’euros en 2015 à l’hôpital. Rapporté à son budget (175 millions d’euros), c’est l’hôpital le plus touché de France. « La dotation précarité est gelée depuis 2010. L’activité de l’hôpital est en hausse de 14 %, mais le budget est en baisse de 0,42 % », précise également Malika Faucher, déléguée CFDT de l’hôpital. « Accueillir des patients précaires, ça a un coût », résume Spencer Laidli, délégué CGT, prenant l’exemple des 25 assistantes sociales qu’emploie l’hôpital. « On en a besoin pour ouvrir des droits rapidement. Ca coute un million d’euros par an… » Même la Fédération Hospitalière de France (FHF) reconnait que l’hôpital public « répond à de nombreuses missions d’intérêt général, comme l’accueil des personnes en situation de précarité, [qui sont] très mal financées ».
Résultat des courses, l’hôpital va afficher pour 2015 un déficit de 3,2 millions d’euros. Mais n’échappe pas à la cure s’austérité. « On supprime des postes en pédiatrie ; la dotation attribuée à la pédopsychiatrie est loin de couvrir les besoins du territoire : il y a ainsi un an d’attente pour avoir un rendez-vous et 400 familles sont en attente ; aux urgences, l’activité a augmenté mais les postes n’ont pas suivi. Le taux de contractuels dépasse les 30 %. Et la seule réponse qu’apporte la direction, c’est le passage en douze heures », déplore Spencer Laidli. Face à cette situation, le syndicat Sud a déposé un recours pour discrimination territoriale auprès du défenseur des droits. « La situation est plus grave à Saint-Denis qu’à Neuilly », ironise Stéphane Degl’Innocenti.
Le « 93 » est le département le plus touché par la tuberculose
De fait, outre la situation très tendue du secteur hospitalier (hôpital Ballanger d’Aulnay, hôpital de Montreuil, établissement psychiatrique de Ville-Evrard), le département est caractérisé « par un déficit d’offre de soins » général. Le conseil départemental a ainsi vu ses activités de dépistage de la tuberculose, du VIH, des IST (infections sexuellement transmissibles), des cancers du sein et colo rectal et de vaccination menacées par une nouvelle réduction budgétaire. En 2014, la CPAM (Caisse primaire d’assurance maladie) avait mis fin au financement d’une partie de ses subventions compensées après plusieurs mois de lutte politique, par l’Etat à hauteur de 1,3 million contre 1,6 million auparavant. Aujourd’hui, l’ARS remet en cause ce financement pour des raisons comptables et compromet toute la politique de santé publique et de prévention menée par le département, mais aussi par ricochet, par les villes et les associations, dénonce Pierre Laporte, conseiller départemental Front de Gauche. Sachant que la récente mise à jour des données de Seine-Saint-Denis publiées par l’Observatoire régional de la Santé met en lumière une situation sanitaire alarmante : Le « 93 » est le département le plus touché par la tuberculose. La mortalité par tuberculose y a presque doublé et c’est aussi le département métropolitain le plus touché par l’épidémie de sida... « L’ARS annonce le virage ambulatoire, pour aller vers plus de soins de jour. C’est oublier que dans ce département qui n’a plus de kiné et de moins en moins de médecins, de nombreuses personnes sont fragiles et isolées », déplore Pierre Laporte, qui dénonce également la fermeture de la moitié des points d’accueil de la CPAM du département. 18 antennes sur 33 devraient fermées leur porte dès septembre, ce qui impactera 1,53 million d’assurés sociaux. Pour l’administration, il s’agit de réorganiser l’accueil pour homogénéiser et améliorer la qualité du service. L’élu, lui, pointe les difficultés d’accès à ces centres pour des populations « dont les situations sociales et sanitaires sont de plus en plus complexes. Quelqu’un qui habite Montfermeil devra aller au Raincy, alors qu’il n’y a pas de transport. Ca n’a pas de sens », fulmine Pierre Laporte.
« L’objectif, c’est de faire des économies. La convention d’objectif et de gestion prévoit de supprimer 8 000 postes à l’échelle nationale et de réduire les frais de gestion. Ca se décline au niveau local », explique Carlos Léal, secrétaire général adjoint CGT de la CPAM du 93. En Seine-Saint-Denis, la Sécu espère économiser 1,5 million par an, soit moins de 2 % de son budget. « Ici, avec le dernier projet d’entreprise, on a déjà perdu une trentaine de postes. On va en perdre autant. Du coup, on n’a plus les effectifs suffisants pour assurer le service, indique le syndicaliste. Pour ce dernier, c’est certain, on est en train de « créer un no man’s land ». « On nous dit qu’aucun assuré ne sera à moins de 30 minutes d’un accueil. On a du mal à y croire ! » Lui voit poindre le « syndrome de l’usine à gaz ». « A Bobigny, la CPAM enregistre parfois des pics de 900 personnes par jour. Ils vont avoir une hausse substantielle d’assurés par jour. Sans compter que la priorité est donnée à l’accueil et aux prestations en nature, mais tout le reste est délaissé : les indemnités journalières, les accidents du travail, les congés maternités… Comme il y aura moins d’agents pour s’en occuper, les dossiers vont encore s’accumuler. Et cela va générer encore plus d’incivilités… »
« Les problématiques de financement de la Sécurité sociale, des hôpitaux et des établissements sociaux et médicaux-sociaux ne sont pas liés à l’augmentation des dépenses, mais bien au manque de ressources organisées », ponctue la CGT du Nord-Pas-de-Calais. Comme conclut Pierre Laporte : « Le président du département de Seine-Saint-Denis s’indigne de la fermeture des CPAM et des économies imposées par l’ARS mais pas contre les 10 milliards d’économies du gouvernement ! »
En Seine-Saint-Denis, des indicateurs de santé alarmants. Un habitant sur quatre vit dans un foyer à bas revenus en Seine-Saint-Denis, contre moins de 15 % en Île-de-France et en France. 12 % de la population bénéficie de la CMU-C, soit deux fois plus que les taux régional et national. Le département concentre aussi un tiers des bénéficiaires de l’AME de la région. L’espérance de vie y est aussi la moins élevée des départements d’Île-de-France, et l’offre de soins plus déficitaire qu’ailleurs. Le taux d’incidence de la tuberculose y est en revanche le plus élevé de France : 26,8 cas pour 100 000 habitants ont été déclarés en 2012, soit trois fois plus qu’en France métropolitaine. La Seine-Saint-Denis est également le second département francilien le plus touché par le VIH après Paris, avec 31,2 personnes découvrant leur séropositivité pour 100 000 habitants (2011).
Source : humanite.fr via sudmondor